Indépendamment du réel qui nous pend au nez, s’il y a une telle peur, c’est qu’il a déjà eu lieu dans le passé, ces fameuses années noires de l’Occupation, sans que nous ayons eu le sentiment de l’avoir collectivement éprouvé
Le terme « effondrement » est polysémique. En agriculture, il désigne l’action de labourer profondément les terres ; en finances, il indique une baisse brutale des prix, des valeurs ou d’une monnaie. Dans le langage courant, un effondrement caractérise une chute, une fin brutale, un anéantissement – ainsi parle-t-on de l’effondrement d’un pont, de la biodiversité, d’empires et même de sociétés entières, comme l’a popularisé la collapsologie de Pablo Servigne. En politique, les cas d’effondrements sont rares, et sont souvent liés à de lourdes défaites militaires (Waterloo, Sedan). A chaque fois, ils ont laissé des souvenirs parmi les plus douloureux de notre histoire de France – pour s’en convaincre, il suffit de relire A l’échelle humaine (1945) : Léon Blum y décrit notamment ces moments en suspension où, déambulant dans Paris à la fin juin 40, il fait l’expérience de lieux de pouvoir atrocement vides. Comme un plancher qui se dérobe, plus rien ne semble pouvoir retenir la débâcle. Dans ce texte, Blum propose une explication lumineuse de l’affaissement général de la société française, qu’il associe à la disparition de la bourgeoisie, prise en tant que classe dirigeante : « cette société avait une armature bourgeoise, et l’armature a cédé » écrit-il.