Faites le test : prononcer les mots « La Poste » devant un interlocuteur, et vous verrez qu’il ou elle se mettra aussitôt à confier ses mésaventures. La Poste est aujourd’hui ce qu’en Grèce ancienne on appelait un pharmakon, terme qui désigne à la fois le bouc-émissaire, le poison et … le remède.
Dans Poste restante (Flammarion), Christian Authier, romancier et fils de postiers, consacre un très bel ouvrage mêlant le récit et l’essai, la nostalgie et l’indignation, l’anecdote kafkaïenne et l’histoire pour retracer la lente liquidation de La Poste. Autrefois synonyme d’excellence et de fierté nationale (on songe aux héros de l’Aéropostale), La Poste fait aujourd’hui partie des grands irritants nationaux … et si elle faisait partie de la solution ? La Poste comme facteur de reconquête républicaine : une vaste « opération La Poste » serait susceptible de nourrir tous les objectifs politiques du moment – lutte contre le sentiment de relégation, contre le sentiment de déclin, contre l’extrême droite …
Extraits choisis de ma chronique pour l’Opinion :
« Si La Poste occupe une place privilégiée dans notre imaginaire national, c’est qu’elle est un objet éminemment politique. A l’instar de l’école, La Poste incarne le service public à la française et l’Etat. La figure du postier et plus encore celle du facteur est parfois le dernier lien concret, vivant, humain qu’entretiennent des Français — isolés, souvent âgés — avec l’administration, avec la République, avec cette communauté nationale dont ils se sentent exclus, relégués.
Ce n’est pas pour rien qu’une étude Ifop montrait en 2016 que, dans les communes de moins de 1 000 habitants, le vote FN variait en moyenne de 3,4 points en fonction de la présence ou de l’absence d’un bureau de poste. « La commune n’est plus jugée digne d’avoir “sa” poste et les habitants ont le sentiment d’être devenus des citoyens de seconde zone », expliquait alors Jérôme Fourquet. Ces vingt dernières années, le nombre de bureaux de poste est passé de 10 000 à 7 250 (-28 %).
A ces critiques s’ajoutent celles, plus contemporaines, d’un sentiment de déclassement généralisé de nos services publics (d’électricité, de transport, de santé) : horaires d’ouverture restreints jusque dans les grandes villes, augmentation du prix du timbre(doublement en dix ans), distribution de la lettre verte en trois jours au lieu de deux, suppression du timbre rouge (courrier urgent)… Dans une époque biberonnée à l’innovation et au progrès technologique, où Amazon livre n’importe où dans le monde en 24 heures et où on parle des premiers taxis volants pour les JO de Paris 2024, La Poste, et avec elle l’ensemble des services publics, semble condamnée à un inexorable déclin de sa qualité de service »