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«Xavier Dolan ou la crise de sens fictionnelle» – La chronique de Raphaël LLorca

Il y a quelques jours, dans un entretien accordé à El Mundo, le cinéaste québécois Xavier Dolan a déclaré : « Je ne comprends pas à quoi ça sert de s’efforcer à raconter des histoires pendant que le monde s’écroule autour de nous. L’art est inutile, et se consacrer au cinéma une perte de temps »

Voilà une déclaration percutante, qui dépasse à mon sens le seul Dolan. En lieu et place du burn-out artistique d’un cinéaste en mal de reconnaissance, j’y vois les signes d’une « crise de sens fictionnelle » qui a le potentiel d’interroger plus radicalement notre époque : à quoi bon raconter encore des histoires dans un monde qui va mal ?

J’y ai dédié ma dernière chronique l’Opinion de cette année. J’ai défendu l’idée selon laquelle la narration était autre chose qu’un divertissement, au sens de Pascal – un passe-temps qui nous détourne de l’essentiel. Le tout, en m’appuyant sur les travaux du philosophe Jacques Rancière, qui s’est toujours efforcé de sortir l’activité narrative de l’opposition factice dans laquelle elle se trouve souvent enfermée : réel vs artifice. « Le réel doit être fictionné pour être pensé » écrivait-il.

Extraits :

« La fiction, loin d’être un passe-temps superficiel, devient une activité nécessaire à la compréhension du réel : ce dernier, nécessairement multidimensionnel, souvent complexe voire illisible, devient subitement plus compréhensible lorsqu’il est porté par un récit qui agit comme une œuvre de synthèse, prenant ensemble et intégrant en une histoire entière et complète des évènements multiples et dispersés. Pour rester dans l’exemple écologique, quel est le plus puissant pour faire prendre conscience de l’urgence ou de l’inaction : un rapport du GIEC, ou Avatar ? Un discours à l’Assemblée, ou Don’t Look Up ?

Voilà une réponse directe à l’interpellation déprimée de Xavier Dolan : dans un monde qui s’écroule, l’activité de narration permet de construire une solide structure de rationalité qui nous permet de mieux le comprendre et de mieux l’appréhender. Est-ce suffisant pour le faire changer ? C’est toute l’interrogation de Dolan, qui semble être revenu de ce mythe du « récit qui change le monde ». Lui qui a passé sa vie à raconter des histoires poignantes d’hommes homosexuels, dit aujourd’hui craindre une « guerre civile » causée par la montée de l’homophobie : le constat d’échec est terrible. C’est en cela qu’il nous est possible de prendre sa « crise de sens fictionnelle » comme une forme d’alerte au monde politique : attention, « imposer un nouveau récit » ne suffira sans doute pas. Il faut trouver le moyen d’améliorer l’efficace symbolique du récit à transformer le monde : sans cela, on risque de désespérer des générations entières de conteurs »

Et pour vous, comment continuer de raconter des histoires dans un monde qui s’écroule ?

Lire la chronique complète sur le site de L’Opinion